Invernale

Le père découpe les animaux, pénètre dans leurs entrailles, sépare les muscles des membranes, enlève les organes et les os. Le père vend des morceaux d’animaux. Le père plonge dans le gouffre biologique et en retire des steaks. Les morceaux de viande sont son métier et son art. Le père est boucher. La tâche du père est d’entrer dans la chair morte et d’en ressortir en la remettant aux vivants, pour que la vie puisse continuer sa chaîne vorace. Il est un passeur entre la viande et la chair. Sur l’étal du marché, il sert les peureux qui ne regardent pas en face les corps qu’ils mangent, qui ne veulent pas savoir, déléguant le sale boulot aux bouchers. Un jour, la chorégraphie parfaite des lames se dérègle et une coupe de travers manque de lui arracher un pouce. C’est le début d’une nouvelle descente dans la chair, la sienne cette fois. Au travail, une bactérie l’a contaminé. Cela commence par une infection, se poursuit par l’épuisement, un diagnostic féroce, des protocoles médicaux, des voyages dans des cliniques à l’étranger. Dario, son fils de 20 ans, plonge son regard dans la chair de son père qui se dégrade, et dans la mélancolie de son départ. Une forte intimité les enveloppe, comme il n’en existe pratiquement que dans les relations entre filles et mères. Nous entrons dans le regard du fils, préhensile et précis, qui voit son père s’effondrer. La précision est la forme que prennent son dévouement et sa souffrance.
En lisant Dario Voltolini, on se dit qu’on peut se passer du monde : ses mots, ses descriptions scintillantes, capables de saisir les choses et de les éveiller comme personne, suffisent.
Tiziano Scarpa